Visite du 5 décembre 2008 chez Catherine RUEL restauratrice à Nantes
Jean LE GUEN, Guillaume et Christiane LARHER se sont rendus dans l’atelier RUEL-TSESMELOGLOU et sont restés ébahis devant la restauration. Le résultat est magnifique, faisant apparaître des couleurs et des détails jamais vus !
Commentaires des restauratrices :
- Tableau ancien, proche d’œuvres de la Renaissance.
- Tableau, du 17ème, c’est certain.
- Les pigments utilisés, la toile, le support, font plutôt plaider pour 1601.
- Les repeints sont plus récents que la signature du peintre T LECLERC.
Pendant plus d’une heure et demie, avec compétence et simplicité, Catherine RUEL raconte et commente l’histoire de cette belle restauration dans ses ateliers nantais.
- Il est tout de suite apparu que le tableau a plusieurs fois été restauré ; restaurations, plus ou moins bien réalisées, parfois catastrophiques. La toile a été découpée, réduite en partie haute sans doute pour l’adapter au retable.
- Ancienneté certaine de ces restaurations : 17ème ou 18ème, attestée par les pigments et vernis utilisés, par l’existence de fixations, clous en fer forgé… Plus récemment, en façade, haut à droite et bas, la toile a été malencontreusement retendue avec des pointes… qui, outre les trous, ont laissé des traces de rouille.
- Les couleurs sont celles d’origine, bien retrouvées. Elles sont classiques de l’époque : rouges forts, verts forts.
- Esthétiquement, tableau 16/17ème.
- Bien travaillé, beaux drapés, belles couleurs.
Sept personnages très recueillis : identification ?
L’Enfant Jésus est parfaitement repérable, Marie et Joseph sont à droite. Une jeune fille au milieu, dont le sein était caché par un repeint de pudeur, laisse maintenant apparaître une autre nativité. Au départ, on pensait qu’il s’agissait de la Vierge Marie. Non, dit Roger BLOT, elle reste mystérieuse, il suggère de rechercher son identification dans une légende[1].
A droite, bien identifiée, Marie tient le linge
« Elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie ».
Luc 2.7
A droite debout, Joseph et trois bergers, celui que l’on prenait pour Joseph, agenouillé, a déposé son présent de berger, un agneau.
En haut, à gauche, l’annonce aux bergers – invisible avant restauration-
Petits angelots, de bonne facture, tiennent la banderole, « Gloria in excelsis Deo », cette banderole a été repeinte, cachant le sexe d’un ange, l’ancienne se devine.
Maître mot des restaurateurs : respecter le tableau initial !
- « Jamais, on ne refait une peinture »
- « La tâche du restaurateur sérieux n’est pas de refaire les couleurs, de les retoucher, mais de redécouvrir les couleurs originelles. ».
Le but actuel des restaurateurs est de restituer le tableau tel qu’il était à l’origine. Recherche constante de l’état initial, des couleurs originelles.
Les couleurs d’origine réapparaissent en enlevant la poussière accumulée, les vieux vernis craquelés ou autres craquelures, les « chancis » – blanchissement partiel ou généralisé du vernis de protection, dues à l’humidité ou à la qualité de la peinture – en enlevant aussi les « repeints »
Ici, travail d’équipe d’une minutie incroyable, supposant compétence et talent !
Subjugués par les qualités de l’œuvre qui se dégageaient au fur et à mesure du nettoyage, de l’enlèvement des repeints ou des retouches des anciens restaurateurs (agencement, couleurs, nom du peintre, date, rajouts postérieurs etc…).
Les restauratrices ont fait venir Christine JABLONSKI, DRAC RENNES, laquelle a alerté, M. AUBERTIN, Architecte des bâtiments de France qui a rapidement décidé d’accélérer la restauration du retable comme la qualité du tableau -classé Monument Historique- l’imposait.
[1] Est-ce la jeune bergère de la Gwerz an Itron Varia a Penvern, qu’on chantait jadis au pardon, le dimanche qui suit l’Ascension, et que cite Léon Dubreuil, dans son étude sur « Les chapelles de Trébeurden » – Société d’émulation des Côtes du Nord Tome LXXII – 1940 p.46. Pourquoi pas ?
Explications techniques de Catherine RUEL sur les étapes de la restauration
Le travail de restauration a été très important. La toile était très abîmée.
Au départ, seule la toile devait être restaurée, mais lorsque le cadre a été déposé du retable, il est apparu que le tableau était cloué au cadre. À l’arrière des planches clouées bloquaient le châssis sur lequel est tendue la toile peinte.
Le tout, toile, châssis et cadre, ont été transportés à NANTES, et démontés. Le cadre -en chêne- a été nettoyé, consolidé, rebouché. Une cire microcristalline, appliquée, le protége et lui redonne sa transparence d’origine. Ce qui fait mieux ressortir le tableau !
La toile est apparue très abîmée lors de la dépose : trous, traces de rouille, d’oxydation, et traces de découpe…
Première phase, il faut commencer par alléger le vernis. L’accumulation des couches successives de poussières sur le vernis finit par encrasser le tableau, cache les couleurs.
Gros travail, minutieux, nettoyage, zone par zone. consistant à enlever les couches successives de poussière, de vernis, qui masquent l’œuvre originale.
Le glacis – dernière couche dite « de transparence » avait disparu, sans doute sous les effets conjugués du temps et de plusieurs nettoyages antérieurs.
Les trous dans la toile ont été bouchés un à un. Travail de bénédictin. Bouchage avec de l’enduit (acétate de polyvinyle ?), chauffé au fer à repasser, mis en place à l’aide de fines spatules ou crochets, comme ceux des dentistes …
Pour traiter les craquelures, la toile a été « relaxée » retendue et réentoilée, sur une nouvelle toile de lin de HOLLANDE, elle-même, spécialement préparée, « décatie », étirée à l’eau, malaxée pour qu’elle épouse exactement la toile à restaurer.
Le collage s’effectue avec une colle en peau de lapin. Cette colle, (la meilleure colle est celle de poisson, d’esturgeon) permet de retrouver la forme initiale de la toile. Cette opération de collage à la nouvelle toile de lin de HOLLANDE consolide la toile, lui donne une nouvelle jeunesse.
Dès les premiers nettoyages, surprises nombreuses des restauratrices
- Découpe : la toile a été découpée pour être intégrée au retable daté de 1666 mais elle existait antérieurement. Des traces de découpes sont visibles en partie haute et basse, moins sur les cotés.
- Rajouts ou « repeints » sur la peinture originale : soit pour intégrer de nouveaux éléments ou motifs (nom du recteur cf. #1 et écussons des titulaires de droits cf. #2), soit pour cacher quelque chose de troublant ou de non orthodoxe (cf. #3) ou des motifs esthétiques (cf. #4, 5 & 6)
1- Nom du recteur : « CVRIS:D’NI:M:Q: BRIANT RECTORIS »
2- Rajout des trois blasons : à gauche celui de Penlan avec ses trois roses (écusson de la seigneurie de Penlan dont les moines de Bégard étaient titulaires) ; à doite le blason de Kerariou et ses lignes croisées ; et en bas un écusson portant un calice et l’hostie (signe du recteur BRIANT ?)
3- Au milieu du tableau, sous le sein gauche de la jeune fille du milieu, lors du nettoyage, réapparition d’une tache rouge et d’une délicate miniature, cachée sous un repeint grisâtre ! Encore une nativité avec Marie et l’Enfant (?) ou comme le suggère Roger Blot, un personnage à rechercher dans une Gwerz locale….pourquoi pas ?
« Et sa mère tenait tous ces événements dans son coeur »
Lc 2,41-51
Pourquoi ce repeint sur le sein de la femme du milieu ? influence du Concile de TRENTE 1545-1563, l’Église Catholique impose la « Contre-Réforme », en réaction à la Réforme protestante, initiée par Luther en 1517, thèse contre les indulgences.
C’est un « repeint de pudeur » dit Catherine, au 17ème 18ème on montre la poitrine, au 19ème rigidité plus grande, on repeint le sein des femmes, le sexe des enfants…
4- Sur le visage de l’enfant, autre retouche superficielle, également ancienne.
5- Sous le rectangle blanc en haut, à gauche, un repeint cachait l’ange annonçant aux bergers la naissance.
Travail typique d’un atelier, plus simple. Les anges, à coté, sont bien peints, comme les fleurs.
6- La Banderole « Gloria in excelsis Deo » a été repositionnée.
Tous ces « repeints », posés par-dessus, sont très anciens – sans doute lors de l’adaptation du tableau au retable.
Après rentoilage, la toile a été fixée sur le cadre existant, mais sur un nouveau châssis en chêne et alu.
Cette technique permet, outre un gain de poids (enlèvement des anciennes planches), une élasticité qui absorbe mieux les variations dimensionnelles liées à l’hygrométrie.
Le cadre en chêne a été nettoyé, consolidé et rebouché.
L’ensemble a été réinstallé dans la chapelle le 14 mai 2009.
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